La méthode que l'on va s'efforcer à décrire a été visiblement utilisée dès le XIème siècle et sera utilisée jusqu'au milieu du XXème, n'ayant pas subi de grands changements significatifs pendant toute cette période.


Le creusement des saignées :

Le carrier se trouve devant la paroi, devant le
front de taille, c'est-à-dire la zone de pierre à extraire.
A coup de pic, le perrier attaque la paroi en creusant des
saignées tout autour du bloc à extraire. Il s'agit de "corroyer les grandes fentes'. Ce bloc est appelé banc.

Auparavant, le perrier peut sonder le rocher avec une
sonde à tuffeau, qui est une sorte de grande pointe métallique (semblable à une baramine) qu'il enfonce profondément, pour contrôler la qualité de celui-ci.

Le creusement des saignées se fait au pic, un outil possédant un long manche et une pièce en métal, perpendiculaire au manche, relativement longue et à deux extrémités pointues. Il se tient à deux mains. C'est un outil qui daterait au moins depuis 3000 avant Jésus-Christ.
Exemple d'une avancée à deux bancs par front, avec une avancée en "canard".
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L'abattage du banc

Quelques secondes à près d'un quart d'heure après, le banc doit alors
s'abattre en faisant un bruit sourd sur le matelas de chapin et les chandelles conçus à cet effet.
Si le banc ne tombe pas, il est probable qu'un chenard le bloque. Le carrier n'insiste pas, afin de ne pas prendre de risques, car le chenard pourrait faire tomber le banc de biais et ce dernier écraser le carrier. D'autant plus que le banc tombera tout seul, durant la nuit, le carrier le retrouvera donc au sol le lendemain.
C'est peut-être le fait que dans ces cas,les bancs tombaient la nuit, qui a été faussement interprété et a comme origine la croyance du fait que les effondrements n'ont lieu que la nuit (ce qui est faux, bien sûr).

Le banc fait de 800kg à près de 3 tonnes selon la dimension de celui-ci (800 à Bourré, jusqu'à 3tonnes à Loches). La journée d'un perrier est de 12h par jour, soit environ 1 banc par jour.
Le maillage du banc destiné à faire tomber le banc

Le carrier enlève les cales (qui peuvent servir de chandelles).

Il va placer des
coins dans l'encoignure tous les 30 à 40 cm.

Les
coins sont réalisés en bois très dur (comme de la loupe de chêne ou du tortillard) qui a été trempé dans l'eau calcaire d'une fontaine, qui peut être située dans la carrière ou dans une solution de sulfate de cuivre (utilisé pour traiter les cultures et la vigne), pendant plusieurs jours, afin d'être bien imprégnés puis séchés afin de le rendre imputrescible. Le coin est inséré entre deux planchettes en bois tendre, comme du chataîgner ou du saule, afin de mieux répartir les coups et pour protéger le tuffeau, tendre et friable.
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confection d'un matelas de chapin planté de chandelles destiné à amortir la chute du banc

Afin d'amortir la chute du banc lorsque celui-ci va tomber et éviter qu'il ne soit endommagé, le carrier confectionne avec les déchets issus des saignées, un épais matelas de chapin dans lequel il plante verticalement de petits morceaux de calcaires, appelés pour l'occasion chandelles ou gendarmes.

L'autre nom des chandelles, les gendarmes, vient probablement du fait qu'à partir de la fin du XVIIIème siècle, l'extraction de la pierre est réglementée, en particulier le taux de défruitage (quantité de la pierre extraite par rapport à la pierre laissée en place pour soutenir le ciel). Alors que pendant des siècles, les carriers ont exploité les carrières de manière plus ou moins anarchiques, exploitant le plus possible les bons filons, malgré des accidents, la maréchaussée qui est chargée de l'application de ces règlements peut donc entrer dans les carrières pour vérifier que ceux-ci sont bien appliqués. Les carriers rêvent sans doute de les écraser dessous pour avoir la paix !
La saignée de tranche :

En général c'est la première fente par lequel le carrier commence.
Elle est
verticale et perpendiculaire au front de taille. Celle-ci permet au carrier d'apprécier la qualité de la pierre sur toute la hauteur et la profondeur du banc à extraire.

Avec le son du pic ainsi que de manière visuelle, le carrier peut apprécier la qualité du tuffeau. S'il rencontre une veine d'argile ou tout autre élément compromettant, il sait que le banc risque d'être difficilement exploitable et donc de perdre sa journée, ou pire, le banc pourrait être dévié au moment de tomber et l'écraser. Si le carrier le juge ainsi, le front de taille est abandonné et il recommence plus loin.

Le carrier va
tracer deux traits distants de 10cm, qui représente la saignée à réaliser, avec une règle qui n'est qu'une simple planche de bois de la hauteur de front de taille et de 10 cm de large.
Le problème de la taille, c'est que les traits sont peu visibles avec l'éclairage, de plus, les traces vont disparaître lors des coups de pics ; la saignée risque alors d'être non droite, ou de se rétrécir dans le fond.

Pour remédier à cela, la taille de cette saignée peut se faire à l'aide d'un
chandelier un appareil créé pour cela (vraisemblablement au XIXème siècle), selon le principe suivant.
Le chandelier est un dispositif composé de deux planches horizontales en croix qui permettent de faire tenir le dispositif debout, ainsi que d'une baguette verticale, une lampe est placée à mi-hauteur sur une petite planchette qui pivote autour de cette baguette. Le carrier place le chandelier à quelques mètres du front de taille, vérifie qu'il est bien droit et fait tourner la planchette sur laquelle est posée la
lampe afin que cette dernière projette l'ombre de la baguette verticale sur la saignée à creuser. L'ombre est alors bien plus facile à suivre que deux traits tracés sur la surface de la paroi.

Pour cette opération, est utilisé un
pic moyen avec un manche légèrement cintré, afin de bien pouvoir enlever la roche au fond de la saignée pour que la largeur soit constante et éviter de se blesser les doigts en les éloignant suffisamment du bord. Le pic est retourné de l'un ou l'autre côté pour creuser l'un ou l'autre côté de la saignée.
le souchet :

Il s'agit de la saignée horizontale inférieure, située au niveau du sol. Le carrier travaille alors à genoux. Le pic est freiné car il frotte constamment le sol. Pour compenser cela, le carrier utilise un pic lourd, avec un long manche. Ce pic est appelé pic à souchevet.
Quand la saignée est terminée, il place des petites
cales en pierre issues des déchets de taille.
Il peut réaliser cette saignée en 2ème pendant que le sol n'est pas encore encombré de déchets et qu'il a donc la place de travailler.


la découverture :

Il s'agit de la saignée horizontale supérieure qui se situe au niveau du ciel.
Le carrier étant souvent vigneron, il confectionne un échafaudage avec une
planche disposée sur deux tonneaux. Courbé, l'épaule calée contre le ciel, les bras en l'air, le carrier utilise alors un pic léger pour découvrir le banc.
Mannequin représentant un carrier en train de creuser une saignée dans la carrière de Vignemont à Loches.
Chandelier, Carrière de Vignement, Indre-et-Loire.
l'encoignure :

C'est la seule saignée qui n'est pas perpendiculaire au front de taille, en effet, celle-ci est oblique, car elle est destinée à recevoir les coins qui permettront de détacher le banc de son fond.
Elle se réalise avec un
pic moyen.
Perriers posant devant un front de taille à Bourré, sur un échaffaudage armés de leurs pics.
Mannequin représentant un carrier en train de mailler un banc à la carrière de Vignemont (Loches).
Techniques d'exploitations contemporaines :

Au milieu du XXème siècle, la
haveuse, importée par les Allemands en 39-45, va remplacer le pic. Celle-ci n'aura pas le temps d'être beaucoup utilisée dans la région, à cause du déclin de la pierre en tant que matériau de construction. Son utilisation restera donc marginale, dans le Val de Loire.

Les exploitations modernes de pierre utilisent celle-ci pour créer les saignées, toutes perpendiculaires au front de taille et utilisent des
coussinets gonflants à la place des coins, qui par leur pression, va décoller la pierre de son fond.
L'avancée du front de taille

Une fois à terre, le bloc est découpé et évacué sur un charriot et le travail recommence. L’avancée du front de taille s’effectue de façon linéaire.

Le front de taille
recule donc au fur et à mesure que la roche est extraite et les galeries prennent naissance ou s'agrandissent.

En regardant le sens des pics sur le ciel et sur les parois ainsi que les décrochements de chaque banc, il est possible de
savoir dans quelle direction les carriers ont progressé dans une galerie.

Les
décrochements sont dûs au fait que le carrier ne peut positionner son manche dans l'axe de la galerie. De ce fait, pour conserver la largeur de la galerie, les mains n'étant pas collées sur la paroi, le pic est incliné sur un plan horizontal et donc les saignées partent légèrement vers l'extérieur, chaque décrochement est en réalité un fond de saignée. Le carrier pourrait décaler les saignés à chaque fois, mais dans ce cas, les galeries se rétréciraient, ce qui n'est bien-sûr pas envisageable.
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Avancée du front de taille. Coupe. Le ciel doit être bien dégagé afin qu'aucun relief ne gêne le banc dans sa chute.
L'encoignure ne se fait jamais sur les côtés, en effet, celle-ci étant oblique, il serait difficile de la tailler, puis d'y enfoncer les coins, de plus, lorsque la pierre commencer à chanter le carrier devrait n'aurait pas forcément le temps de se pousser. Celle-ci se situe donc toujours au milieu. L'avancée se fait aussi en "canard", chaque banc étant décalé en profondeur par rapport au banc voisin.
Avancée du front de taille de la gauche vers la droite, et, à droite, attaque d'une nouvelle galerie qui a été stoppée par une veine d'argile.
Front de taille, amorce d'une nouvelle galerie
Principe.
Reconstitution d'un front de taille.
Entailles sur un front de taille d'une carrière abandonnée de la Vallée du Cher.
Les saignées font de 40 à 50 cm de profondeur (40cm à Bourré, 50cm à Loches) et 10 de large.
Les dimensions du banc varient selon la région et même parfois selon les exploitations. Ce banc fait 60cm de large et 2m de haut à Bourré, mais peut faire 2m de large et 3m de haut à Loches.

Chaque fente porte un
nom et possède ses caractéristiques. Chacune se fait avec un pic particulier.
Sonde à tuffeau
Pic de carrier
dégagement des angles :

Une fois les quatre saignées réalisées, le carrier va dégager le fond des quatre angles, dont la pierre peut être inaccessibles aux pics, avec une pointerolle en métal fixé dans un manche en bois appelée "pince à décrocher".
Une encoignure dans une galerie (flèches oranges) On remarque ausi la découverture. Le souchet se trouve sous le niveau du sol, constitué de déchets de taille tassés.
Ce banc est perpendiculaire à la galerie, en effet, il aurait du constituer une amorce de galerie perpendiculaire à celle où nous sommes.
Le carrier tape alors sur les coins, avec un maillet prévu à cet effet, on appelle cette opération "mailler le banc" ou "mailler la blanche".
Ce sont les coups et les vibrations qui vont permettre de détacher le banc du reste du rocher. De plus, l'encoignure, qui est oblique, va permettre au coins, lorsqu'ils vont rentrer au fur et à mesure des coups, de soulever et détacher la pierre par la pression exercée par ceux-ci dans la saignée.
Le bois est donc utilisé sec, contrairement aux pierres dures, comme le granit, où l'on mouille le bois, et où dans ce cas c'est le gonflement qui va faire éclater la pierre.

La tête du maillet est réalisé avec du bois extrêmement dur comme de l'ormeau, du cormier, ou du cornouiller. Le manche quant à lui est réalisé avec du bois de noisetier, qui lui confère une certaine flexibilité. Le manche flexible couplé à la tête dure permet de bien balancer l'outil et de bien appuyer les coups.

Il va alors
taper 4 à 5 volées de coups sur chaque coin, tout en étant à l'écoute de la pierre.
Lorsque celle-ci émet des
craquements qui vont parfois durer pendant plusieurs minutes, on dit alors que la pierre chante, le carrier s'écarte. En effet, la face arrière du banc est en train de se fissurer et de se décoller.
Coins en bois avec leur deux planchettes.
Front de taille au font d'une galerie. On remarque les fond des saignée d'encoignures contrastant avec la surface qui a été arrachée.
Décrochements dûs à l'avancée du front de taille. Chaque décrochement correspond à une saignée, les petits décrochés perpendiculaire à la galerie étant les fond de celles-ci.
Mise en avant de la forme des décrochements par la lumière. Ici, ils sont particulièrement marqués.
Le front de taille a avancé de la partie de gauche vers la droite sur la photo. On remarque les traces de pic
Avancée du front de taille dans une autre carrière avec les décrochements moins marqués
Marques des différents bancs et traces de pics sur le ciel
1- Saignée dans le prolongement de la précédente, impossible à travailler.
2- En décalant chaque saignée, la galerie se rapetisserait, ce qui n'est pas envisageable.
3- Chaque saignée part donc un peu sur l'extérieur créant ainsi un décrochement.
4- Le travail de chaque saignée fait que ces décrochements sont très visibles ou moins.
Haveuse rouilleuse.
Sur le sol, on voit bien l'avancée en canard.
Il y a aussi des décrochements sur le sol, et le ciel, afin de faire monter la galerie... Pourquoi ? La pierre était de meilleure qualité en haut ? mince couche d'argile ?
Le front de taille puis la succession des opérations d'extraction va former l'attaque d'une galerie puis va finir par former une galerie, l'attaque dans le coteau se transformant alors en bouche de cavage. Ainsi il va être créé des quantités de galeries issues de l'extraction de la pierre
Tracé (1) réalisé au niveau de la saignée à réaliser et début d'attaque (2)
Front de taille abanonné et percé par un autre situé derrière. On voit bien la saignée de tranche et celle de découverture. On remarque aussi le pan oblique sur un plan horizontal qui est l'encoignure qui a servi à extraire le banc précédent, à droite. Poour extraire ce banc, il ne restait plus qu'à réaliser l'encoignure à ce même niveau, partant dans l'autre sens (encoignure partant vers la gauche).
Face rugeuse de détachement d'un banc.